En Moselle, l’ancienne base aérienne militaire de Frescaty fait parler passionnément d’elle en tant que futur lieu d’installation du géant Amazon. Mais au-delà de ce débat d’actualité, le plateau de Frescaty a une histoire et une géographie bien plus vastes que cela, comme je l’ai appris en juin dernier lors d’une visite professionnelle. Cette découverte m’a tellement marquée que j’ai envie de partager ici mes clichés de ce site, connu ici sous le nom « BA128 », et qui a vocation à devenir la nouvelle grande zone économique de l’ouest de Metz Métropole. Décollage !
Pour l’instant, cette visite est une véritable exclusivité car cette friche militaire demeure très sécurisée. Elle reste ceinte d’une grille de 15 km de long, accessible seulement par trois portails, et encore bloquée par des barbelés à certains endroits. Que peut-on y voir actuellement ? Voit-on déjà le site se transformer ? Que va-t-il devenir ? Pourquoi ce site mérite-t-il qu’on s’y intéresse autant ? Lisez et vous verrez !
Ce qu’on voit sur l’ancienne base aérienne de Frescaty
Un mini-aéroport pour avions de légende
Toutes les pièces de l’aéroport sont encore là : sa piste, sa tour de contrôle, ses aires de stationnement extérieures et ses vastes hangars.
Ce mini aéroport a tout de même accueilli des objets volants de légende ! Au XVIIIème siècle, l’un des premiers aérostats a décollé de là, puis au XXème siècle les dirigeables Zeppelin, et enfin le Concorde !
Sur la piste longue de 2 km et large de 40 mètres, s’est posé le mythique Concorde, à 6 reprises. Il a ainsi relié Metz à … New-York ou Casablanca. 40 000 personnes avaient pu entrer sur la base aérienne le 19 mai 1977 pour le voir !
Autour de la piste s’étalent des alvéoles de bitume, où se garaient les avions. Leur forme très caractéristique a été reprise pour le logo emblème du Plateau de Frescaty.
Un plateau de champs et de bitume
Le plateau laisse voir du bitume et des champs à perte de vue. Seuls le surplombent quelques buttes de fleurs sauvages aménagées par les militaires pour protéger les avions garés dans les alvéoles, des bosquets d’arbres (essentiellement des épicéas), un château d’eau, et la tour de contrôle.
On se croirait en rase campagne, mais on se trouve assez prêt de Metz en réalité ! Le plateau de 380 hectares relie trois communes : Marly, Augny et Moulins-les-Metz. Il est tout proche de Montigny-les-Metz et de la grande zone commerciale d’Augny, et on peut rejoindre le centre-ville de Metz en 15 minutes en prenant la L2 depuis le nord-est de la zone jusqu’à la Place de la République.
Le plateau est plat, mais pas monotone. J’ai traversé divers paysages qui m’ont rappelé les paysages américains – la campagne du Grand Ouest américain ou les campus universitaires notamment…
Des bâtiments aux formes insolites
Quelques routes sillonnent le site et relient 120 bâtiments très différents, plus ou moins banals ou originaux. Voici les plus marquants !
Celui-ci est le mess mixte, c’est-à-dire la cantine où mangeaient ensemble officiers et non gradés. Il a été bâti dans les années 70 par un élève de Le Corbusier. Aujourd’hui, il est la propriété du groupe GOCEL qui va le rénover et y replacer une cantine avec terrasse au sommet de cette soucoupe volante. Moi j’aurais bien aimé qu’ils y ajoutent un étage qui tourne, pour avoir un restaurant panoramique comme à Québec City ou à Mulhouse…
Celui-là est un château d’eau !
Les réseaux d’eau, d’électricité et de chaleur sont spécifiques au site de la base aérienne, et non raccordés aux réseaux classiques de Metz Métropole gérés par UEM ou Veolia, ou d’autres entreprises délégataires de services publics classiques.
Comme le raccordement serait trop complexe et coûteux, la base continue à vivre de manière autonome. Ce château d’eau a été récemment rénové. Les nouveaux propriétaires des bâtiments (existants et à venir) auront carte blanche pour déployer des solutions d’énergies renouvelables, d’autosuffisance et d’économie circulaire pour prolonger cette philosophie et participer aux nouvelles pratiques de sobriété !
Devant ce gymnase de bois peint en vert, érigé au milieu de conifères, je m’attendais à voir surgir Clint Eastwood et Meryl Streep , dans un somptueux remake de Sur la route de Madison – Sur la route de Montigny-les-Metz…
Ceux-ci sont les anciens hangars de stationnement des avions, tout de béton et d’acier. La lumière, les hommes et les matériaux n’y entrent que si cette énorme porte coulissante de 150 tonnes est ouverte. L’avenir de ces hangars est un casse-tête : les démolir ? N’en garder qu’un ? Les reconvertir ?
Moi j’en verrai bien un lieu d’expérimentation, de résidence et d’expositions pour les artistes, notamment numériques, comme les dômes qu’on voit sur la Place d’Armes à Constellations, ou comme la Tata Galerie, ce container – galerie d’exposition qui se déplace entre la gare, la Place Saint-Louis ou Bliiida…
Un air de campus
Avec ses bâtiments de logements ou de bureaux aux formes monolithiques et monotones dispersés parmi les généreux feuillages d’arbres quinquagénaires, le paysage rappelle celui des campus universitaires américains. Ou celui du Campus du Saulcy, avec presque le même état de délabrement – sauf qu’à Frescaty on ne fait plus travailler personne dans ces bâtiments-là ! On a vu le coiffeur, l’infirmerie, les bureaux, les logements… c’est une véritable ville qui avait été bâtie par les militaires entre les grilles, puisque cette base devait être totalement indépendante et autonome.
Des terrains de foot !
Comme sur tout campus, le sport a sa place ! C’est pourquoi nous n’aurions pas dû être surpris de croiser un alignement de cages de but à proximité du plus grand hangar de la zone : le HM17, devenu terrain couvert d’entraînement de football pour les joueurs du FC Metz. 8 terrains de foot s’étendent à ses pieds, et les premiers ballons ont rebondi dessus le 1er juillet !
Une nature bien (trop) domptée
A perte de vue en cette journée caniculaire de juin, des terrains fauchés et des bottes de foin posées sur les champs rasés.
On explique la fauche par le fait que les investisseurs immobilier en visite se projettent mieux sur un sol bien tondu… Pas sûr que ce soit le cas des insectes et des oiseaux !
L’agriculture prend place sur ce plateau très bétonné et imperméabilisé, autrefois truffé de bombes et d’hydrocarbures. L’agriculture hors sol est justement envisagée aux endroits où les sols sont pollués.
Des serres dressent leurs silhouettes rondes et blanches aux abords de la piste : ce sont les serres de jeunes porteurs de projets qui occupent cet espace test agricole. Ils pourront occuper l’espace pendant trois ans pour achever leur formation, tester leur mode de production, viabiliser leur activité puis rechercher leur propre terrain dans la région.
Derrière les grilles, celui dont on ne prononce pas le nom…
Juste derrière les espaces de maraîchage, les grilles nous arrêtent net dans notre parcours.
Fin de zone ! Derrière ces grilles qui interdisent l’accès à toute la partie sur de la zone, le chantier de construction des hangars de celle dont on ne devait pas dire le nom (indice : elle porte le nom d’une posture féminine de montée à cheval, mais sans le e à la fin) et qu’on désignait pudiquement sur les plans d’architecture comme une zone logistrielle (non, je ne connaissais pas non plus ce mot) !
Tiens, si on se donnait rendez-vous à Frescaty dans 10 ans …
Le site est si vaste, les études à conduire bâtiments par bâtiments, parcelles par parcelles, sont si nombreuses que l’aménagement du site sera finalisé à l’horizon 2032, 20 ans tout pile après la fermeture de la base et le départ des militaires.
Metz Métropole aura-t-elle réussi son objectif d’implanter 2 000 emplois pour remplacer les 2 000 emplois supprimés sur ce site avec le départ de l’Armée ? Aujourd’hui, 700 personnes travaillent sur la zone. Mais ils sont tellement dispersés sur cette vaste étendue, qu’on ne les croirait pas si nombreux !
Le zonage géographique, foncier, administratif et thématique est très fort aujourd’hui. Lorsqu’on le voit sur carte, on s’aperçoit que le projet d’aménagement de Frescaty est aujourd’hui découpé en zones très nettes et distinctes selon leur géographie et par les vocations qui leur sont assignées. Tel qu’il est présenté aujourd’hui, le site sera organisé en zones thématiques, suivant les découpages administratifs qui s’opèrent entre l’Etat (encore présent avec la gendarmerie) qui a cédé le terrain pour un euro symbolique en laissant le soin à la Métropole de payer toutes les études er les travaux de dépollution, l’Etablissement public foncier de Lorraine, les promoteurs et les acquéreurs finaux.

L’habitant n’est pas convoqué là, puisqu’il n’y a pas de projet de logement à ce stade. Hé non, vous ne deviendrez pas heureux propriétaire terrien à Frescaty, mais regardez plutôt vers Montigny-les-Metz, qui prépare la reconversion d’une autre friche militaire d’importance : la transformation de la caserne du quartier Lizé en écoquartier. Mais votre employeur choisira peut-être de s’installer là-bas ?
La Métropole promet qu’en 2032, il y aura de l’agriculture, des entreprises, des activités de loisirs, et un grand parc métropolitain qui sera aménagé plutôt vers 2030. Et si c’était celui-ci qu’il fallait aménager en premier, comme le Parc de la Seille qui a été le premier grand équipement public érigé sur le quartier de l’Amphithéâtre ? Car lorsque j’ai visité Frescaty en juin dernier, la première canicule de cet été 2019 était à son paroxysme, et je me suis naturellement demandée si à terme le site à terme serait adapté à des semaines éprouvantes de chaleur estivale, et offrirait de l’ombre, de l’eau et de la verdure à ses usagers.
La base aérienne va s’ouvrir petit à petit aux habitants de la Métropole, avec par exemple aux prochaines journées du patrimoine des visites guidées à pied et à vélo, et une exposition de street art préparée par l’Association Une phase 2 styles. Cela préfigure la création de sentiers pédagogiques, peut-être même artistiques : après tout, nous sommes sur la métropole art and tech ! Mais lors de ma visite, l’artiste belge Werner Moron du musée de l’éphémère à Herstal a dit cette phrase, qui résonne encore en moi :
Il faut avoir l’humilité de ne pas intervenir et laisser la nature faire. Mais c’est peut-être cela le plus difficile : que nous les humains, acceptions de ne rien faire.