Après le festival Metz est wunderbar se tient l’autre grand événement des printemps messins : le festival de littérature et journalisme Le Livre à Metz. Il a été fondé il y a trente ans par la directrice du Républicain Lorrain Marguerite Puhl-Demange. L’un des temps forts de ce festival est la remise du prix littéraire Marguerite Puhl-Demange. La spécificité de ce prix est que son jury réunit non des auteurs, ni des artistes, ni des critiques, mais de simples lecteurs comme vous et moi ! En janvier 2017, l’Association Le Livre à Metz avait lancé un appel public à candidature pour rejoindre le jury. J’ai eu la chance et le plaisir d’être retenue ! Mon devoir a donc consisté à lire quatre ouvrages, déterminer mon préféré et expliquer mon choix auprès des dix autres membres du jury, réuni le 28 février. Voici donc le récit de mon mois de février passé en jurée littéraire !
Ma candidature au Prix littéraire Marguerite Puhl-Demange

Mi-janvier, cet appel à candidature sur le compte Twitter @LeLivreàMetz a retenu mon attention. Dans le cadre de ce festival , le prix littéraire Marguerite Puhl-Demange est décerné à un auteur de roman à l’issue de quatre pré-jurys et un jury final. Les pré-jurys ont été organisés dans plusieurs villes de la Moselle : Sarreguemines, Thionville, Crénage et Montigny-les-Metz. Comme le jury final, tous étaient composés de non professionnels. Pour intégrer ce jury final qui s’est tenu fin février à Metz, il suffisait de candidater par mail ou par courrier en précisant simplement son identité et ses motivations.
Voici mon argumentaire :
Je lis rapidement et avec grande curiosité, et pourrai relever le défi de lire les quatre livres en peu de temps. Je connais le fonctionnement des jurys puisque j’ai participé ou animé à de nombreux jurys précédemment (sur d’autres sujets) et j’ai le goût du partage d’opinions et du débat. Toutefois, il s’agit de ma première candidature à un jury littéraire. Je serais donc heureuse de rencontrer d’autres lecteurs messins, découvrir des auteurs et savourer de nouveaux livres grâce à vous !
J’aurais pu développer plus longuement et avouer d’autres nombreuses motivations. J’aime lire mais ne le fais pas assez, victime du syndrome décrit dans cet article de Slate le 30 janvier 2017 Le temps que vous passez sur les réseaux sociaux vous empêche de lire 200 livres par an). Je lis plutôt des classiques (Zola est l’auteur que j’ai le plus lu et relu) ou des auteurs reconnus par les Prix Nobel et Goncourt, que je me fais offrir à chaque Noël. Cette fois, je voulais être poussée à explorer des auteurs et des histoires éloignés de mes goûts habituels, et désigner moi-même un auteur méritant, sans attendre que Goncourt ou Renaudot m’explique en septembre qui et quoi me faire offrir sous le sapin !
Et surtout, j’avais envie de rencontrer d’autres lecteurs et découvrir l’atmosphère d’un jury littéraire. Quel plaisir de partager des livres comme les plats d’un bon repas commun, d’écouter d’autres argumenter leurs goûts, expliciter mes choix, ou même se retrouver tacitement dans des préférences inexplicables ou inexprimables.
Les réponses à cet appel à candidatures furent nombreuses, mais j’ai eu la chance d’être sélectionnée. Malheureusement je ne pourrai pas revenir l’année prochaine car les places sont très demandées, et il faut les laisser un peu aux autres !
Ma première mission a été d’aller chercher les quatre ouvrages de la sélection au siège de l’association Le Livre à Metz.

Ces quatre ouvrages m’ont été gracieusement offerts (ainsi qu’aux autres membres du jury) et je trouve que c’est un cadeau très luxueux ! En effet, un livre tout juste édité coûte aux alentours de 20 euros, ce qui me pousse bien souvent à attendre patiemment la publication en format poche, et à découvrir les ouvrages plus d’un an après leur sortie.
Par un joli après-midi de février, j’ai remonté à pied la rue des Trois Evèchés en direction de la mairie de quartier Plantières – Queuleu, où l’association Le Livre à Metz a son siège.
Ca a été l’occasion d’une belle promenade découverte des villas de ce quartier, de l’époque allemande et la première moitié du XXème siècle en particulier. Mon oeil et mon appareil photo se sont régalés de petits jardins, des balcons sculptés, des fenêtres richement encadrées, des vitraux parfois, des escaliers solennels.

Puis j’ai passé presque toutes mes soirées de février au lit en train de lire pour préparer le jury, prévu le 28 février. J’avais découvert les quatre couvertures et les quatre quatrièmes de couverture, ne restait qu’à partir en exploration…
J’ai commencé par le roman d’Emmanuel Venet : « Marcher droit, tourner en rond », à la couverture unie, d’un jaune éclatant.
Premier roman lu : « Marcher droit, tourner en rond » d’Emmanuel VENET – éditions Verdier
Le résumé en quatrième de couverture me promettait une rencontre intéressante et inédite avec un homme victime du syndrome d’Asperger.

L’intrigue est la suivante : un homme retrouve toute sa famille lors des obsèques de sa grand-mère et va profiter de cette occasion inédite et fugace pour dresser un portrait de chaque membre à travers les actions, les manies, les défauts et les phrases les plus marquantes de chacun. Un enterrement est un concentré de vie : on y résume la vie d’un défunt et on fait des bilans, on réunit un bref instant des gens aux vies parallèles sur lesquelles ils échangent de brèves nouvelles, on voit le temps qui a passé sur les visages, on se remémore des événements, des phrases, des bonheurs et des drames, des rancoeurs parfois. Que de points communs avec un roman, et quoi de plus naturel que cet événement comme point de départ d’un livre ?
J’ai eu du mal à interrompre ma lecture chaque soir pour éteindre ma lumière et m’endormir ! A quel moment en effet interrompre la lecture de ce roman, qui est en réalité un monologue ininterrompu ? La grand-mère Marguerite trouvera-t’elle enfin grâce aux yeux du narrateur pour coller au portrait officiel dressé dans son éloge funèbre ? Que s’est-il vraiment passé entre le narrateur et le grand amour de sa vie Sylvie ? Mais le monologue s’est arrêté en même temps que la cérémonie funèbre. J’ai donc noté mes impressions sur l’ouvrage, me suis laissé une soirée de repos, et ai saisi un deuxième ouvrage de la sélection, celui qui avait un titre assez scientifique : « Principe de suspension ».
Si vous souhaitez en savoir plus, retrouvez l’intégralité de mon avis sur cet ouvrage en fin d’article !
Deuxième roman lu : « Principe de suspension » de Vanessa BAMBERGER
Une femme est au chevet de son mari plongé dans le coma et sous respirateur après une grave crise d’asthme. Le roman va dévoiler peu à peu les épreuves qui ont amené ce pauvre Thomas sur ce lit d’hôpital, en suivant ses derniers jours avant l’accident ; et il va nous révéler si Thomas est condamné ou pourra revivre après toutes ces épreuves.

Le livre est une triple et lente fermeture.
Le temps, d’abord, se referme. Les chapitres retracent deux frises chronologiques : celle de l’avant l’accident et celle de l’après accident. L’avant a été vécu par Thomas, dont Olivia ne savait rien. L’après est vécu par Olivia, dont Thomas ne sait rien. Le roman s’arrête quand les frises d’Olivia et Thomas se rejoignent, le jour de son accident. L’autre fermeture n’est au début qu’une menace, qui devient de plus en plus possible à mesure que l’on avance : c’est celle de l’usine de Thomas, après que son acheteur unique ne décide de réduire ses coûts et trouver un sous-traitant dans un pays de l’Est. La troisième fermeture est celle des poumons de Thomas. Pendant tout l’ouvrage, il tente de lutter contre les coupures de respiration et surtout ses douleurs dans l’omoplate.
Voici donc un livre que j’ai commencé avec intérêt puis lu avec passion et compassion. Dans notre Lorraine industrielle, ce livre sur les difficultés d’un patron d’une PME industrielle résonnera de manière bien particulière !
Si vous souhaitez en savoir plus, retrouvez l’intégralité de mon avis sur cet ouvrage en fin d’article !
Troisième roman lu : « Un paquebot dans les arbres » de Valentine GOBY – éditions Actes Sud

Le paquebot dans les arbres désigne le sanatorium d’Aincourt, une maison de santé pour les tuberculeux située au milieu d’une forêt des Yvelines, en Ile de France. C’est là que les parents de l’héroïne Mathilde viendront tenter de soigner leur tuberculose, tandis que l’héroïque jeune fille tentera de terminer ses études, obtenir son diplôme comptable, survivre par ses propres moyens après avoir obtenu l’émancipation, et entretenir ses parents et son petit frère Jacques.
J’ai toujours aimé les romans d’apprentissage et d’héroïsme quotidien. J’ai donc avalé ce roman en trois soirées, en lisant avec autant d’avidité que lorsque j’étais petite fille et grande lectrice !
Si vous souhaitez en savoir plus, retrouvez l’intégralité de mon avis sur cet ouvrage en fin d’article !
Quatrième roman lu : Deux remords de Claude Monet » de Michel BERNARD – éditions La Table ronde

Ce livre s’ouvre par une scène aussi marquante et poignante que Les Misérables de Victor Hugo : un vieil homme marche pendant des jours et des kilomètres sur la ligne de front de la Grande Guerre pour retrouver son fils soldat, dont il ne sait encore s’il est mort ou vivant. Cet homme est le père du peintre Frédéric Bazille, un ami proche du grand impressionniste Claude Monet.
Situé dans une période de bouillonnement artistique et politique, ce roman retrace brillamment la carrière et la vie de Monet entre les deux guerres franco-allemandes : celle de 1870 et celle de 1914-1918.
Le roman est bâti en trois chapitres qui racontent différents épisodes de la vie de Monet. Chacun porte un prénom. Le chapitre de la jeunesse, habitée d’art et d’amitié, s’appelle Frédéric, et parle du destin de Frédéric Bazille. Celui-ci fut un compagnon d’études de peinture de Monet, en même temps qu’un ami et un bienfaiteur en achetant l’une de ses toiles alors qu’il était dans le besoin et bien loin de sa reconnaissance future.
Celui du couple est intitulé Camille. Camille fut la muse et la première épouse et supportrice du peintre.
La dernière partie du roman s’intitule Claude, que l’on retrouve vieux, dédié à son jardin et à son oeuvre monumentale des nymphéas.
Ce roman est lumineux parce qu’il parle de couleurs et de peintures, et retrace le parcours ardu mais finalement couronné de succès de Monet. Cependant, et comme le suggère le titre, il est très mélancolique. Il offre une réflexion sur la disparition, autour d’un peintre qui aura passé sa vie à vouloir figer des paysages et des lumières changeants, aussitôt apparus et disparus. Il s’agit aussi et surtout de la disparition des gens, que ce soit par la guerre, par la mort, par l’effacement des toiles ou des mémoires.

Si vous souhaitez en savoir plus, retrouvez l’intégralité de mon avis sur cet ouvrage en fin d’article !
Le moment tant attendu du jury
Après ce mois d’intenses découvertes et lectures, enfin est arrivé le jury et la rencontre avec mes collègues lecteurs ! Nous venions de partager, sans nous connaitre, les mêmes livres et le même objectif de les terminer avant la date fatidique du 28 février ! J’avais souvent pensé à eux et avais hâte d’entendre leur ressenti sur les livres pour confirmer mes intuitions ou m’aider à éclairer certains livres.
Les membres du jury était d’âges et d’horizon divers. Francis Kochert, le sélectionneur et animateur du jury, qui avait choisi les profils, y avait veillé ! Outre les professeurs à la retraite, j’ai rencontré des femmes chef d’entreprise ou responsable de laboratoire, un jeune prof de français, un administrateur public, un conducteur de train, une étudiante… Et bien sûr Francis Kochert, grand reporter au Républicain Lorrain, poète, et amoureux de Metz au point de lui dédier un ouvrage « Je vous écris de Metz ». Il a été un formidable animateur des débats, veillant à laisser s’exprimer chacun dans un climat de bienveillance et d’écoute.

Il nous a rappelé que notre jury se réunissait après quatre pré-jurys : celui de Montigny-les-Metz a retenu Un paquebot dans les arbres, celui de Créhange les Deux remords de Claude Monet, celui de Sarreguemines Principe de suspension, et celui de Thionville Marcher droit, tourner en rond.
Nous avons pris la parole d’abord pour nous présenter, puis exprimer un premier avis sur la sélection générale, avant d’étudier les livres un par un et d’en débattre. Certains ont avoué n’avoir pu terminer certains livres, car ils ressentaient une insoutenable empathie pour les héros en souffrance. D’autres ont avoué à quels héros ils s’étaient identifiés. D’autres encore ont jugé du niveau de vocabulaire, des figures de style utilisées. Nous avons aussi évoqué l’intérêt et l’actualité des sujets abordés, l’image de la femme renvoyée dans les ouvrages, ou encore la vérité des situations. Un livre est comme un diamant à plusieurs facettes : chacun y voit diverses faces ou manières de briller, selon l’endroit d’où il le regarde.
Ensuite nous avons voté … par élimination ! Oui, en deux tours de table successifs, nous avons dû voter pour le livre qui ne gagnerait pas, ce qui me semblait terriblement dur ! Puis nous avons pu voter positivement pour notre ouvrage préféré et désigner le gagnant. Ce sont les remords de Claude Monet, décrits merveilleusement par Michel Bernard, qui se sont imposés. Cet ouvrage était d’ailleurs mon favori. Après notre heure et demi de travail, la MGEN nous a offert un apéritif dînatoire, et son président nous a confiés qu’après avoir assisté à nos discussions, il avait envie de découvrir tous les livres… Et vous aussi, maintenant ?

Quant à moi, je me suis régalée de mots et de rencontres, autant littéraires que réelles. Après l’avoir achevé, j’ai écrit mes impressions, comme après chaque livre. Il s’est avéré que grâce à ce challenge de lecture, je me suis découvert un vrai goût pour la critique littéraire !
J’essaie de continuer à lire intensément et, ainsi renouer avec ma passion de jeunesse ! Me voici plongée dans L’art français de la Guerre d’Alexis Jenni, un ouvrage fleuve qui attendait depuis deux ans que je l’ouvre et qui a été distingué par le prix littéraire ultime, le Prix Goncourt.
Si malheureusement je manquerai la rencontre avec Michel Bernard à la remise des prix, j’ai eu le plaisir de répondre à l’invitation d’une autre jurée, Vanessa Remiatte, au gala Elles font la Mos’elles. Et je n’ai pas manqué de vous raconter cette soirée d’exception !
Et pour ceux qui veulent en savoir plus sur les ouvrages, voici l’intégralité de mes avis sur les quatre ouvrages.
Mon avis détaillé sur les quatre romans finalistes du Prix littéraire M. Puhl-Demange
« Marcher droit, tourner en rond » d’Emmanuel VENET – éditions Verdier
Le résumé en quatrième de couverture me promettait une rencontre intéressante et inédite avec un homme victime du syndrome d’Asperger.
En janvier, j’avais lu l’excellent roman La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, qui met aussi en scène un personnage haut en couleurs et son système de pensée fantaisiste. Je me suis tellement amusée devant ce livre que j’avais envie de continuer à côtoyer des héros certes étranges, mais tellement humains et drôles (malgré eux…). La barre était donc haute car La conjuration des imbéciles a reçu le Prix Pullitzer… hélas de manière posthume car l’auteur s’est suicidé de désespoir après avoir essuyé moultes recus pour ce roman extraordinaire. Je suis heureuse qu’Emmanuel Venet et son héros se soient fait connaitre de leur vivant, et obtiennent la reconnaissance qu’ils méritent !

L’intrigue est la suivante : un homme retrouve toute sa famille lors des obsèques de sa grand-mère et va profiter de cette occasion inédite et fugace pour dresser un portrait de chaque membre à travers les actions, les manies, les défauts et les phrases les plus marquantes de chacun. Un enterrement est un concentré de vie : on y résume la vie d’un défunt et on fait des bilans, on réunit un bref instant des gens aux vies parallèles sur lesquelles ils échangent de brèves nouvelles, on voit le temps qui a passé sur les visages, on se remémore des événements, des phrases, des bonheurs et des drames, des rancoeurs parfois. Que de points communs avec un roman, et quoi de plus naturel que cet événement comme point de départ d’un livre ?
Lucide et omniscient, l’homme narrateur est en réalité atteint d’une forme d’autisme, le syndrome d’Asperger, qui l’empêche absolument de comprendre le second degré et de travestir la réalité, y compris à ses propres yeux. Il emprunte sa lucidité candide aux personnages enfantins de Romain Gary / Emile Ajar – qui avec John Kennedy Toole est le seul capable de me faire rire aux éclats -.
Le livre est un monologue sans interruption, sans chapitres, comme le fut continu de nos pensées – qui souvent se bousculent dans ce genre d’occasion funeste. Dans cette écriture unifocale, tout autre système de pensée est intégré au système de pensée du héros. La mise en scène est semblable à celle de la pièce de Bernard Marie Koltès La Nuit juste avant les Forêts, dans laquelle un homme est en proie à un mélange de lucidité et de folie monomaniaque. Cette ambivalence le place à la fois en plein coeur de la société, qu’il observe, commente et dont il est un fruit ; et à la fois à sa frange puisqu’il rejette les codes sociaux et s’en voit rejeté.
Le livre n’offre qu’un seul point de vue mais n’en est pas monotone pour autant. Il offre du rythme, des surprises, des transitions douces et subtiles. Les personnages arrivent par touche, ils sont cités plusieurs fois avant qu’un portrait ne leur soit consacré sur plusieurs pages. C’est comme si on feuilletait un album de photos de famille : une personne apparait en arrière plan, puis en photo de groupe, et a enfin son portrait en pleine page.
Nous voici devant un concentré de comédie humaine. Féminine surtout. Les femmes sont frivoles : cupides, infidèles, hypocrites, paranoïaques, tandis que les hommes sont lâches et effacés: mari trompé, veuf inconsolable, père abandonnant ses enfants, amant détroussé par sa maitresse. Aucun personnage féminin n’est attachant ni positif. Je me garderais bien de faire l’amalgame entre un héros déçu par toutes les femmes (mais qui n’en a connu aucune au sens biblique du terme) et un auteur misogyne, mais reconnaissez que le sexe faible ne sort pas grandi de ce roman !
J’ai eu du mal à interrompre ma lecture chaque soir pour éteindre ma lumière et m’endormir ! A quel moment en effet interrompre cette tirade ? La grand-mère Marguerite trouvera-t’elle enfin grâce aux yeux du narrateur pour coller au portrait officiel dressé dans son éloge funèbre ? Que s’est-il vraiment passé entre le narrateur et le grand amour de sa vie Sylvie ? Mais le monologue s’est arrêté en même temps que la cérémonie funèbre. J’ai donc noté mes impressions sur l’ouvrage, me suis laissé une soirée de repos, et ai saisi un deuxième ouvrage de la sélection, celui qui avait un titre assez scientifique : « Principe de suspension ».
« Principe de suspension » de Vanessa BAMBERGER
Je suis entrée doucement dans ce livre. Je trouvais un peu scolaire le fait d’ouvrir chaque chapitre par une définition à la manière de nos cours de biologie, ou en définissant les termes du sujet comme dans toute dissertation ou exposé de lycée. Je trouvais la situation d’ouverture assez classique : une femme est au chevet de son mari plongé dans le coma et sous respirateur après une grave crise d’asthme. L’objet du livre est évident : il va dévoiler peu à peu les épreuves qui ont amené ce pauvre Thomas sur ce lit d’hôpital, en suivant ses derniers jours avant l’accident ; et il va nous révéler si Thomas est condamné ou pourra revivre après toutes ces épreuves. Les figures de style et les ressorts sont évidents : le paradoxe de l’asthmatique qui s’ignore et vend des aérosols, la métaphore de la crise d’asthme et de la crise économique qui frappe l’usine, comme deux asphyxies réelle et symbolique, les points de vue parallèles de l’homme et de la femme, la découverte progressive par la femme d’épisodes de la vie de son mari qu’elle ne connaissait pas.
Mais plus j’ai avancé dans le roman, plus le piège s’est refermé sur moi. Comme les chapitres sont assez courts, les épisodes se succèdent rapidement et je me suis laissée prendre par l’allure. Et, bien sûr, je me suis attachée aux personnages. Depuis toujours, je m’attache aux personnages et m’intéresse à leur devenir. C’est pour cela que j’ai très rarement refermé un livre au milieu, même s’il ne me plaisait pas ou que les personnages eux-mêmes ne me plaisaient pas.
J’avais envie de connaître les épreuves de Thomas, savoir s’il allait pouvoir en réchapper et si le dévouement et l’espérance de sa femme Olivia allaient être récompensés. Mais j’ai eu du mal à les comprendre. Olivia et Thomas sont deux monstres sacrés : beaux et charismatiques, mais aussi vulnérables et sensibles après des drames familiaux durant leur enfance. Thomas se démène comme un fou pour maintenir sa PME industrielle de fabrication d’aérosols à flots, tandis qu’Olivia est la caricature d’une femme de patron, dédiée à ses enfants et pratiquant la peinture comme seul loisir et travail. Son mari lui-même s’agace de l’entretenir alors qu’elle ne fait pas correctement le ménage – ce qu’elle déteste faire. Le personnage de Thomas manque de cohérence : c’est un être distant et insensible à la maison, mais un patron motivé et dévoué au travail. Allait-on pouvoir superposer les deux visages de Thomas ?
Finalement, l’intrigue et la construction du livre sont prenants. Car le livre est une triple et lente fermeture.
Le temps, d’abord, se referme. Les chapitres retracent deux frises chronologiques : celle de l’avant l’accident et celle de l’après accident. L’avant a été vécu par Thomas, dont Olivia ne savait rien. L’après est vécu par Olivia, dont Thomas ne sait rien. Le roman s’arrête quand les frises d’Olivia et Thomas se rejoignent, le jour de son accident.
L’autre fermeture n’est au début qu’une menace, qui devient de plus en plus possible à mesure que l’on avance : c’est celle de l’usine de Thomas, après que son acheteur unique ne décide de réduire ses coûts et trouver un sous-traitant dans un pays de l’Est. Comme le passionnant roman Les vivants et les morts de Gérard Mordillat, la force de ce roman est de nous faire vivre les drames intimes et le ressenti des fermetures annoncées ou réelles d’usines. Nous ne voyons habituellement qu’à travers les courts articles de presse économique ou les banderoles des manifestations. Ici, voici le point de vue des patrons, qui sacrifient temps, énergie, et parfois jusqu’à l’honneur et la famille, pour faire croitre ou même survivre leur entreprise. Le chapitre où Thomas va visiter les usines désaffectées et méditer dans ce cimetière des éléments, est poignant. L’implacable logique du marché est racontée par divers personnages : le grand patron acheteur, le syndicaliste, le directeur d’usine. Quel que soit leur position dans la chaîne de production, ils se retrouvent broyés par la loi des coûts et des comportements économiques incroyables, comme celle des Chinois qui ont racheté une usine de papeterie non pas pour ses presses, mais pour les 100000 hectares de forêt qu’elle possède au Cameroun !

La troisième fermeture est celle des poumons de Thomas. Pendant tout l’ouvrage, il tente de lutter contre les coupures de respiration et surtout ses douleurs dans l’omoplate. Mais il y perd peu à peu ses forces, sa raison et sa volonté. Il court partout en se trompant de combat : il veut retenir son directeur de l’innovation en qui il a placé tous ses espoirs, son empathie et son amitié, au lieu de gérer la crise dans son usine. Mais en réalité, il s’enferre dans ses illusions et son passé. Chapitre après chapitre, son asphyxie physique et mentale grandit. L’asthme l’a plongé dans l’impuissance totale, et muré dans le silence. Sa conscience et sa volonté l’abandonnent, alors que les autres autour de lui semblent même accélérer le cours de leur vie : son directeur d’usine prend le lead, son directeur des ressources humaines s’affirme, sa femme s’émancipe.
Voici donc un livre que j’ai commencé avec intérêt puis lu avec passion et compassion. Dans notre Lorraine industrielle, ce livre résonnera de manière bien particulière !
« Un paquebot dans les arbres » de Valentine GOBY – éditions Actes Sud
Le paquebot dans les arbres désigne le sanatorium d’Aincourt, une maison de santé pour les tuberculeux située au milieu d’une forêt des Yvelines, en Ile de France. C’est là que les parents de l’héroïne Mathilde viendront tenter de soigner leur tuberculose, tandis que l’héroïque jeune fille tentera de terminer ses études, obtenir son diplôme comptable, survivre par ses propres moyens après avoir obtenu l’émancipation, et entretenir ses parents et son petit frère Jacques.
C’est Mathilde elle-même qui nous emmène au sanatorium en prologue du livre. Cinquante ans après le séjour de ses parents, elle revient sur les lieux et visite les ruines de l’établissement.
Le paquebot est désormais une épave abandonnée, oubliée, rendue à la nature. On pourrait l’ajouter dans les photos des villes ou des lieux fantômes, qui sont si fascinantes. Et comme dans le film Titanic, on visite l’épave avant que le récit ne vienne donner vie aux lieux. Car Mathilde y a sans doute emmené la narratrice, et lui a raconté son enfance et son adolescence marquées par la maladie de ses parents et leur séjour dans le sanatorium.
C’est ensuite la narratrice qui se charge de faire le récit de la déchéance annoncée de la santé des parents et de la vie familiale.
C’est un long roman, une longue maladie pour les parents, une longue route pour Mathilde. L’histoire est triste – c’est dit d’emblée -. C’est un contexte de renoncement, de déchéance, de mort à petit feu, de trahison. Le tableau est de plus en plus sombre. Mais la volonté de Mathilde traverse tout cela et on lui fait confiance pour trouver ses stratagèmes face à toutes les adversités. Le roman n’est pas désespéré car l’héroïne ne l’est pas – ou presque jamais. L’amour de la nature, de la famille, de la liberté : ces valeurs consensuelles, Mathilde tente de les défendre de toutes ses forces face à un destin toujours plus cruel. A côté, l’amitié, le sentiment amoureux et la solidarité apparaissent à géométrie variable dans la vie de la jeune fille. L’histoire de Mathilde est un éloge à la simplicité, même si celle-ci est forcée : simplicité obligée de son train de vie (alors que son contexte familial est si complexe), simplicité des joies qui traversent sa morne existence comme des éclairs fugaces de lumière : une soirée en boîte de nuit, une promenade au bord du fleuve, l’écoute d’un air d’harmonica joué par son père.
Mais il s’agit aussi de l’illustration sans concession d’une tragédie sociale en plein coeur des Trente Glorieuses. Cette tragédie familiale est d’autant plus frappante que les Trente Glorieuses ont été une période sans égale de progrès économique et social. Là, entre 1950 et 1962, la Sécurité sociale, les mutuelles, l’assistance sociale ont fait leur apparition… mais ne seront d’aucun secours à ces travailleurs indépendants que sont restés ces tenanciers de bar. Les mentalités restent archaïques : toute personne malade est comme touchée par la peste, on la met en quarantaine, on la fuit et on (se) la cache, ajoutant la solitude et le dénuement à la maladie, pour le malade comme pour sa descendance. Si le roman s’était passé au XIXème siècle, Zola aurait plongé notre héroïne dans la prostitution, à l’image de Gervaise et sa fille Nana, ou encore de la malheureuse Fantine. Ici, l’héroïne gardera toute sa intégrité – et ce n’est pas le moindre de ses combats, quand on sait la faim et le froid qui la taraudent – mais on croise une jeune mère tuberculeuse et prostituée à qui l’on a retiré son enfant en raison de sa double situation, et qui est poussée à commettre l’irréparable.
C’est donc la tragédie historique de la Guerre d’Algérie qui servira d’écho à cette tragédie personnelle. La guerre est d’abord brièvement mentionnée à travers le frère de la meilleure amie de Mathilde, parti combattre en Algérie. La fin de la guerre coïncide avec la fin du séjour de ses parents au sanatorium, et les deux bilans se répondent. Ce sont deux victoires et deux drames comme les deux faces d’une même pièce. Le parallèle entre la guerre d’indépendance, la lutte pour la survie physique des parents et la survie financière des enfants donne du rythme et de la profondeur à la dernière partie du livre. Certes, on trouve des similitudes dans les tourments, l’endurance, la solitude, la persécution et la volonté farouche d’indépendance de Mathilde et le peuple algérien. Et il fallait attendre que Mathilde grandisse pour prendre conscience de ce parallèle. Mais j’ai trouvé cette prise de conscience politique de Mathilde assez étonnante, et peut-être superflue, car elle arrive tardivement et de manière inattendue.

Je recommande cette histoire aux enfants autant qu’aux adultes. Avec un gros bémol toutefois. Mathilde est un garçon manqué. Entre sa grande soeur et son petit frère, elle cherche de toutes ses forces à séduire son père. Elle veut montrer le cran d’un garçon dans ses jeux tous plus risqué les uns que les autres, tout en souhaitant que son père l’invite à valser avec lui comme il le fait avec sa soeur. Au début de l’histoire, c’est l’unique but et paradoxe de cette enfant têtue, qui possède un physique et des jeux de garçon. Est-ce donc parce qu’elle a les attributs d’un garçon qu’elle aura la force d’endurer ses épreuves, tandis que sa soeur toute féminine Annie se mariera, aura un enfant et s’effacera de l’histoire ? Dommage qu’il faille masculiniser l’héroïne pour rendre son courage et son abnégation crédibles…
En tout cas, j’ai toujours aimé les romans d’apprentissage et d’héroïsme quotidien. Je l’aurais dévoré lorsque j’étais petite fille et grande lectrice, comme je l’ai avalé en trois soirées de février !
Deux remords de Claude Monet » de Michel BERNARD – éditions La Table ronde
Ce livre s’ouvre par une scène aussi marquante et poignante que Les Misérables de Victor Hugo : un vieil homme marche pendant des jours et des kilomètres sur la ligne de front de la Grande Guerre pour retrouver son fils soldat, dont il ne sait encore s’il est mort ou vivant. Cet homme est le père du peintre Frédéric Bazille, un ami proche du grand impressionniste Claude Monet. Situé dans une période de bouillonnement artistique et politique, ce roman retrace brillamment la carrière et la vie de Monet entre les deux guerres franco-allemandes : celle de 1870 et celle de 1914-1918.
Le roman est bâti en trois chapitres qui racontent différents épisodes de la vie de Monet. Chacun porte un prénom. Le chapitre de la jeunesse, habitée d’art et d’amitié, s’appelle Frédéric, et parle du destin de Frédéric Bazille. Celui-ci fut un compagnon d’études de peinture de Monet, en même temps qu’un ami et un bienfaiteur en achetant l’une de ses toiles alors qu’il était dans le besoin et bien loin de sa reconnaissance future.
Celui du couple est intitulé Camille. Camille fut la muse et la première épouse et supportrice du peintre. Ce deuxième chapitre retrace toute leur vie de couple et les tableaux qui ont marqué l’amour de Monet pour Camille, jusqu’à la mort de celle-ci. Monet a même été jusqu’à la peindre sur son lit de mort, quelques heutes après son décès ! Ce chapitre est celui de l’abondance matérielle, laborieuse et familiale. Il évoque les fils de Claude et Camille, et traite sans l’évoquer ne serait-ce qu’en suggestion de l’étonnant ménage à quatre (et à huit enfants) que formèrent le couple Monet et le couple Hoschedé.
La dernière partie du roman s’intitule Claude, que l’on retrouve vieux, dédié à son jardin et à son oeuvre monumentale des nymphéas. Il est esseulé, hors du temps des visites de son ami Georges Clémenceau et de la présence discrète de sa belle-fille Blanche. Il se consacre à la réalisation de son œuvre monumentale des Nymphéas, dédiée aux soldats tombés au front comme Frédéric et qui finira exposée au Musée de l’Orangerie après son don à la France en échange de l’achat de Femmes au jardin, le tableau du bonheur de jeunesse de Bazille et Monet où apparaissent leurs muses aimées.

Cette biographie romanesque est passionnante ! D’abord elle est remarquablement bien construite, avec une structure légère en trois chapitres. Elle est instructive sur l’inspiration et la genèse des tableaux de Monet les plus personnels, où posent ses amis et la muse de sa vie, Camille. Elle est instructive sur le caractère de Monet, dispendieux, colérique, passionné, opiniâtre (pour peindre comme pour monter des rétrospectives, celle de Bazille notamment, vendre ses toiles ou appeler des fonds pour faire racheter les tableaux de son maitre Manet). Elle est instructive sur des tableaux majeurs de Monet vus au musée d’Orsay et du Louvre, et surtout sur son oeuvre gigantesque de l’Orangerie : les Nymphéas.
Mais cela reste un roman, qui ne dit pas toute la vérité sur l’histoire d’amour extra conjugale née entre Monet et Alice Hoschedé, et évoque bien rapidement un sacrilège qu’a laissé faire Monet : sa seconde épouse Alice, présentée comme amie et garde malade dévouée de Camille, a par la suite brûlé toutes les photos et toute la correspondance de la première épouse. Cela apporte un énorme contre-sens historique au roman, mais celui-ci garde sa liberté et l’histoire n’en est que plus forte.
Ce roman est lumineux parce qu’il parle de couleurs et de peintures, et retrace le parcours ardu mais finalement couronné de succès de Monet. Cependant, et comme le suggère le titre, il est très mélancolique. Il offre une réflexion sur la disparition, autour d’un peintre qui aura passé sa vie à vouloir figer des paysages et des lumières changeants, aussitôt apparus et disparus. Il s’agit aussi et surtout de la disparition des gens, que ce soit par la guerre, par la mort, par l’effacement des toiles ou des mémoires.
L’hiver est particulièrement bien décrit et valorisé comme une saison passionnante et riche pour le peintre. Mais la couleur revient toujours dans les toiles et les jardins, et Michel Bernard a magnifiquement capté et retranscrit les prémices du printemps dans la lumière et la végétation. Voilà donc un roman à lire maintenant, en ces dernières semaines d’hiver, alors que le printemps s’annonce par les bourgeons grossissants et frémissants, et que la lumière est plus tardive, la météo plus douce.
J’ai adoré ce voyage dans le temps, à une grande époque de rayonnement et de production artistique de la France que j’affectionne particulièrement. J’ai aimé me plonger dans la vie et l’oeuvre de Claude Monet grâce au choix parfait de moments et de tableaux, et à leur description virtuose.
C’est donc cet ouvrage qui a séduit le plus de membres du jury final du prix littéraire Marguerite Puhl-Demange. Et si vous désirez connaître les lauréats des précédentes éditions, ou si vous voulez connaitre tout le programme du festival le Livre à Metz 2017, rendez-vous ici !
Bonjour,
Je suis nouvel auteur et sort mon premier livre en 2021 de développement personnel.
Je suis volontaire pour contribuer, de manière directe (en tant qu’auteur, membre du jury, lecteur…) à cet événement ! 🙂
Bien cordialement, positivement.
Jordan MOUROT LARONDE 07 86 48 15 81
Bonsoir, félicitations !! Je ne peux que vous conseiller de contacter via les réseaux sociaux ou via leur site web l’association Le Livre à Metz, qui organise le festival. Bonne chance pour la promotion de votre livre !