Enfin ! Nous avons fait une première soirée en amoureux depuis la naissance de notre deuxième enfant cet été ! J’ai confié les enfants à la meilleure baby-sitter de Metz (et oui, c’est moi qui l’ai !) et réservé deux activités que nous adorons : aller au théâtre puis dîner dans un excellent restaurant. Ce 4 novembre, on jouait La Nuit juste avant les forêts en ouverture de la troisième Biennale Koltès. Cela a été l’occasion de découvrir à la fois l’une des plus belles places de Metz : la Place de la Comédie, mais aussi un grand dramaturge messin : Bernard Marie Koltès, un non moins grand acteur messin : Hugo Becker, et enfin l’un des meilleurs restaurants de la Ville : El Theatris.
Acte I : Place de la Comédie, l’arrivée à l’opéra théâtre
Quel privilège d’avoir un opéra théâtre à 300 mètres de chez soi ! Depuis notre quartier Pontifrroy, nous avons rejoint à pied la Place de la Comédie pour passer trois belles heures entre l’opéra théâtre et son restaurant voisin El Teatris. La Place de la Comédie est un spectacle à elle toute seule ! Rappelez-vous, je vous y avais emmené en journée pendant les Fêtes de la mirabelle.
Voici trois siècles que cette Place a remplacé le marécage qui s’étendait sur l’île du Petit Saulcy, sur la Moselle. Elle a été aménagée au milieu du XVIIIème siècle au moment de la construction de l’opéra théâtre, sur la volonté de Louis XV et sur les plans du Maréchal de Belle-Isle, gouverneur de la province des Trois Evêchés dont la capitale était Metz. Belle-Isle était le petit-fils de l’intendant Bouquet : on apprend donc à Metz que les relations entre les Bouquet et la famille royale française s’étaient donc arrangées depuis Louis XIV !
Son décor est somptueux : la Place est enchassée dans un écrin de bâtiments jaunes en Pierre de Jaumont, représentatifs de l’architecture classique française. Son plus grand côté est occupé par la longue façade de l’opéra théâtre, et se prolonge sur un autre côté par la préfecture, elle aussi en Pierre de Jaumont. Derrière nous en hauteur, la cathédrale Saint Etienne, notre Lanterne du Bon Dieu, éclaire le ciel messin. Du haut de son clocher, presque huit cents ans nous contemplent ! Enfin, sur le dernier côté, le Temple neuf domine la place de toute sa hauteur.


Dans ce même écrin se trouvent donc rassemblés les joyaux de l’architecture française et allemande à Metz, totems de la candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO pour notre Metz royale et impériale. – D’ailleurs, si vous trouvez que Metz mérite d’y figurer, soutenez la pétition officielle sur le site jeveuxmetz.fr ! –
Sur cette place, les scènes se suivent et ne ressemblent pas : au printemps, la Place résonnait des paroles de révolte et d’enthousiasme des participants au mouvement Nuit Debout. Puis début juin, la Place a fait son printemps en laissant fleurir sur ses pavés un jardin éphémère. La fontaine centrale s’est trouvée encerclée d’ arbustes, de vasques bosquets fleuris et du mobilier de jardin en bois. Après quatre mois à faire vivre les Messins d’amour et d’eau fraîche, le jardin éphémère a laissé en ce début novembre la place aux décorations de Noël. Les jardiniers de la Ville terminent à peine de balayer la terre que leurs collègues installent déjà une énorme boule de Noël et accrochent des illuminations dans les arbres alentour !
Acte II : l’attente dans l’opéra théâtre
Il y a quatre salles de théâtre à Metz, dont une, le théâtre de la Lucarne, est situé sur une péniche. Quatre salles : cela semble dérisoire lorsque l’on profite ou a profité des 180 théâtres de Paris, mais ce n’est absolument pas dramatique, tant la programmation y est soignée. De plus Metz se rattrape sur les salles de concert : il y en a au moins quatre fédérées dans la cité musicale. Et surtout, qui a dit qu’il fallait un théâtre pour assister à du théâtre ? Metz adore le spectacle vivant et laisse les acteurs et les artistes envahir ses rues et jouer en plein air lors de ses festivals d’été comme hop HopHop et les Fêtes de la mirabelle. Et c’est une excellente compagnie de théâtre, Deracinemoa, qui m’a fait visiter le tiers-lieu messin Blida début octobre dernier. Toutefois en ce début novembre et pour une soirée en amoureux, il était temps de s’asseoir confortablement dans des fauteuils rouges et se plonger dans une ambiance à la fois mondaine et intimiste comme seuls les théâtres savent les proposer.
Bâtiment d’architecture classique construit au XVIIIème siècle, l’opéra théâtre de Metz métropole est le plus ancien de France encore debout et encore en activité, puisqu’il n’a jamais brûlé depuis sa construction.

Habitués aux grandes salles de théâtre parisiennes, nous trouvons rapidement nos marques dans cette salle intimiste à taille réduite. Le décor de la salle a toutes les caractéristiques des théâtres construits au XVIIIème siècle : fauteuils rouges, balcons dorés, lustre étincelant et plafond peint. Mais l’évocation des théâtres parisiens s’arrête là ! Pas de file d’attente à l’entrée ni pour retirer son billet ou être placé : quel luxe ! A l’issue de la représentation, les applaudissements auront beau être nourris, ils nous semblent légèrement en comparaison au souvenir que nous avons des salles parisiennes. Même placés au fond de la salle, nous distinguons le visage de l’acteur. Cette proximité ne fera que renforcer l’intensité dramatique de la pièce, car l’air vibre jusqu’au fond de la salle !

Pas de majestueux rideau rouge pour masquer le décor et ménager la surprise. La scène comme l’acteur sont à nu, et immédiatement présents. Car le personnage est sans filtre ni artifice. La pièce ne débute pas sur un classique lever de rideau, mais par une déclamation depuis le couloir desservant les portes de l’orchestre et du parterre. Cela fait de nous, spectateurs, ce fameux camarade que le personnage d’Hugo Becker hèle sous la pluie et cherche à retenir à ses côtés tout au long de la pièce. J’avoue que depuis l’épisode du Bataclan, ce genre de surprise derrière moi me fait assez froid dans le dos. Mais le personnage de Koltès, marginal et surprenant, se devait de déranger et d’inquiéter, comme n’importe qui à l’aspect débraillé qui nous interpellerait à un carrefour lors d’une nuit pluvieuse.
Puis Hugo Becker monte sur scène et envahit l’espace, encore très dépouillé, occupé par des tas de vêtements bleus et gris. Deux planches en bois font des avancées vers la salle, sur lesquelles Hugo Becker viendra courir ou même s’asseoir pour mieux prendre à témoin son « camarade » public.
Acte III : Hugo Becker joue La Nuit juste avant les forêts
Je l’avoue tout net : en dépit d’études littéraires poussées, je n’avais jamais lu ni vu d’oeuvre de Bernard Marie Koltès, ce dramaturge né à Metz, et qui serait pourtant l’un des auteurs français les plus joués dans le monde. En bon messin, il s’était tout d’abord orienté vers la musique… avant de bifurquer vers le théâtre. Grand voyageur, notamment vers les Amériques du Nord et du Sud, il a cependant mis Metz en scène dans sa dernière pièce Retour au désert, écrite en 1988. Après lui avoir consacré une année en 2009 pour le vingtième anniversaire de sa mort et avoir baptisé un très joli jardin à son nom au pied du Conseil régional, ancienne abbaye Saint Clément, Metz lui fait désormais l’honneur de Biennales, en rejouant ses pièces dans les différents théâtres de la Ville et en éclairant certains aspects de son oeuvre : le thème de cette Biennale 2016 était donc Hantises et spectres dans le théâtre de Koltès et dans le théâtre contemporain.

La Nuit juste avant les forêts a été écrite et mise en scène en 1977 par Bernard Marie Koltès lui-même. C’est une pièce très particulière, presque sauvage. La Nuit juste avant les forêts ne met en scène qu’un seul personnage, dont on ne connaît ni le nom ni l’âge ni le pays. Celui-ci cherche de la compagnie pour se livrer comme sans doute jamais il ne s’est livré. Il s’est lancé dans une longue tirade adressé à un inconnu qu’il vient de croiser dans la rue. Ses paroles au début laissent supposer que le camarade lui a répondu et l’a écouté quelques instants, mais il semble ensuite avoir disparu (parti s’abriter de la pluie interminable ?). Puis le texte de la pièce devient un véritable et long soliloque, à peine interrompu par quelques silences ou encore le passage d’un personnage féminin muet représentant le mystère et la douceur féminines. La pièce illustre à la perfection le thème de la Biennale, Hantises et spectre. La hantise de son personnage qui, au-delà d’être principal, est unique. Le spectre de l’Autre, qui passe près de notre personnage et à qui celui-ci veut tout raconter.

Dans sa logorrhée verbale, l’homme raconte tout ce qui lui passe par la tête. Il revient sur des anecdotes de son passé, qui l’ont amusé ou peut-être détruit. Il s’explique sur son rapport au travail, aux femmes. Le texte, écrit en 1977, est très ancré dans son époque : celle du travail en usine et de la lutte des classes. Pourtant, ses thèmes demeurent intemporels : la rencontre puis la déception amoureuse, la méfiance vis-à-vis des gens différents, pauvres ou marginaux, l’aliénation du travail, ou encore la revendication de vivre à son propre rythme et comme on l’entend, en refusant l’uniformisation des machines de production, qu’il s’agisse des usines à l’époque ou même de nos grandes entreprises tertiaires aujourd’hui.

Il avait plu tout l’après-midi sur Metz, et la pluie avait fini par s’arrêter en début de soirée. Un parfait point de départ pour cette pièce, qui met en scène cette errance physique et mentale sous la pluie. Au début de la pièce, la pluie n’était que dans le texte, mais les nuages ont fini par rentrer dans le théâtre, la pluie s’est cristallisée et a fini par s’incarner puisque la pièce s’est achevée sur une trombe d’eau, avec notre homme dessous. L’homme a laissé les vêtements et ses cheveux se détremper sans jamais chercher à se mettre à l’abri. La pluie a aussi pénétré son discours.
La musique arrive à la fin de la pièce, offrant un final classique de sons et de vraie pluie s’abattant sur le personnage. La voix vibrante d’Hugo Becker laisse place à une autre voix puissante, celle de Stromae dans la chanson Formidable. C’est une insertion (trop ?) évidente, puisqu’elle fait entendre elle aussi l’histoire d’un homme saoul, malheureux, désabusé et errant après sa rupture amoureuse, et fait évidemment écho à la situation de ce personnage. Puis le silence. La pluie s’arrête, la voix se tait.

J’aime le long silence qui ponctue une pièce de théâtre. Les sons finissent de passer dans l’air, la dernière parole résonne dans la salle et dans les têtes. Il est temps que les comédiens et le public reprennent leurs esprits, remettent leur pendule à l’heure, se réveillent d’un long rêve. C’est le calme avant la tempête d’applaudissements.
Acte IV : le restaurant de l’opéra théâtre
Après cette consistante et délicieuse nourriture littéraire place aux nourritures terrestres! Nous n’avons eu que quelques pas à faire sur la belle place de la comédie pour rejoindre le restaurant mitoyen à l’opéra théâtre, El Theatris. A 21h30, la salle était déjà bien remplie, j’en ai déduit que le restaurant attire un public plus large que les seuls spectateurs du théâtre. Et j’ai compris pourquoi ! La décoration est discrète et chic, et ce sont le haut plafond et le parquet qui font leur effet ! Les tables, rondes ou rectangulaires, sont espacées, et nous n’avons même pas eu l’impression de diner entre une table de huit personnes et une autre table de six personnes.


Affamés à cette heure avancée, nous avons parié que notre ventre serait aussi gros que nos yeux et avons commandé deux menus « tentation de rabelais » avec entrée plat dessert. Parmi les petits délices d’El Theatris testés et approuvés par votre servante : la tapenade très goûtue en accueil, du fois gras au confit de coing en entrée, l’association filet de sandre et purée de pommes de terre en plat, et enfin de l’ananas en tartare et en glace pour accompagner un baba généreusement arrosé et flambé au rhum. J’ai apprécié qu’on nous laisse prendre le temps de la dégustation, surtout pour faire passer le trop généreux risotto que mon compagnon de table a avalé en entrée…


Epilogue
Après la pluie, la neige arrive sur Metz et nous amène la Saint Nicolas, puis Noël. Nous aurons bien d’autres occasions de retourner sur la Place la Comédie. Il me tarde de la découvrir illuminée aux couleurs de la fête de la Saint Nicolas, que je fêterai pour la première fois de ma vie ! Cette place sera le coeur battant des festivités : point de départ et d’arrivée du défilé, elle accueillera un village d’artisanat et de gourmandises. Pendant ce temps, l’opéra théâtre nous offrira des contes : Le château de Barbe Bleue fin novembre, puis La Belle au bois dormant autour de Noël. Nul doute que je vous remmènerai à l’opéra théâtre pour nous émerveiller encore !