Une méditation au Centre Pompidou-Metz avec Lee Ufan

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Ma culture en art contemporain est très limitée. Mais depuis que j’habite à Metz et que je peux me rendre plusieurs fois par an au Centre Pompidou-Metz, je progresse ! Ainsi, je n’avais jamais entendu parler de Lee Ufan avant que le Centre Pompidou-Metz n’organise une exposition sur lui et avec lui en ce printemps 2019. La découverte de cet artiste sud-coréen a été un moment de grâce et une véritable révélation ! Je vous ai donc rapporté mes clichés, et la méditation que m’ont inspiré les oeuvres et les propos de ce grand artiste asiatique contemporain.

Même sans tensiomètre et cardiofréquencemètre à disposition pour le vérifier, j’ai senti à l’issue de ma visite que mon rythme cardiaque et ma tension avaient ralenti ! Ceci grâce à l’ambiance profondément tranquille et méditative instillée par la pureté des lignes et du blanc des murs du Centre Pompidou-Metz, la scénographie minimaliste de l’exposition, et les oeuvres simples et tranquilles proposées par Lee Ufan à nos yeux et à notre âme.

Les artistes parlent trop …

J’aime la philosophie de Lee Ufan, exposée dans la vidéo de 10 minutes qui clôt l’exposition : selon lui,

l’artiste doit s’exprimer le moins possible et envahir le moins possible la toile (s’il peint) ou l’espace (s’il élabore une installation). Le spectateur doit apprendre à regarder le monde par lui-même au lieu d’écouter les artistes.

Cohérent avec cette affirmation, Lee Ufan offre à travers ses créations tout juste de quoi voir, réfléchir, se questionner, et méditer. En présentant très peu de choses : le même symbole peint répété à l’infini sur ses toiles, il oblige le spectateur à aiguiser son oeil, à examiner et scruter les variations.

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Il en est de même pour les plaques noires apposées contre les murs ou au sol, les unes contre les autres : elles sont absolument noires et mates, ni les lumières ni les silhouettes des visiteurs ne s’y reflètent ; les Narcisse ne peuvent les détourner comme miroir et se regarder ou se deviner dedans. On ne peut pas se regarder dedans, on ne peut que regarder et examiner la matière, la couleur, la profondeur et la densité de la matière et de la couleur, bref l’oeuvre elle-même.

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Une salle se distingue parmi toutes les autres salles : celle des trois tableaux Landscape. Ici, le spectateur est cerné par les couleurs éblouissantes des trois monochromes qui l’entourent. Et je dis bien éblouissantes : on ne peut fixer ces toiles flous plus de cinq secondes, ensuite les vibrations de la couleur sont insoutenables à l’oeil, on dirait que les bords de la toile vrillent et cela donne presque le vertige. C’est une oasis de couleurs vives dans cette exposition si sobre.

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Les oeuvres de Lee Ufan présentées dans cette exposition ne seraient pas si suggestives et intenses sans la bande sonore qui accompagne le visiteur dans chaque salle. Elle a été créé spécialement pour cette exposition par le très grand compositeur, Ryuichi Sakamoto (qui vient de signer une nouvelle bande originale pour la série futuriste Black Mirror). Elle est composée de bruits minéraux, émanant des mêmes matériaux que ceux que nous avons sous les yeux.

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Si l’exposition toute entière dégage autant d’harmonie, c’est parce que Lee Ufan a sélectionné les couvres exposées, défini le plan et l’agencement des quinze salles, et que son art s’intègre à merveille dans l’architecture du Centre lui-même, conçu par le japonais Shigeru Ban.

Méditation sur le temps devant les Relatum de Lee Ufan

Arrêter d’interpréter, regarder et ressentir : c’est ce véritable programme de méditation qui s’est imposé à moi devant cette première installation que j’ai eue à regarder :

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Relatum, Lee Ufan

Elle est composée d’une grosse pierre, d’âge immémorial, posée sur le milieu d’une plaque de verre translucide, elle-même couchée au sol. Lee Ufan n’a rien fait d’autre que choisir cette pierre lisse, la poser et l’orienter sur une plaque de verre couchée au sol, puis nommer cet ensemble d’un vieux mot latin : Relatum. D’ailleurs, toutes les oeuvres de Lee Ufan comportant une pierre s’appellent Relatum.

L’oeuvre est aussi haute que mon genou, et on peut en faire le tour. J’ai failli ne pas le faire, tellement j’étais décontenancée et pressée de passer à autre chose de plus évident, attrapable, compréhensible. Mais j’ai fait le tour de la pierre, j’ai scruté sa surface, j’ai pensé à son âge millénaire, je me suis demandée comment elle s’était formée, comment elle avait été extraite, à quoi elle avait assisté. Je me suis interrogée sur son passé. Mais son passé n’est pas que son passé, il est le passé même de la planète terre, et notre passé à tous.

Devant cette pierre brute et naturelle, j’ai d’abord pensé : « voici l’origine de notre planète : la pierre » puis je me suis dit : « la pierre, c’est notre planète elle-même, une grosse pierre quelque part dans l’espace« . Puis (après avoir fréquenté pas mal de collapsologues et autres théoriciens de la fin du monde ces derniers temps), j’y ai projeté ce que notre planète sera après l’extinction de tous les êtres vivants de sa surface, Hommes, animaux, végétaux : un caillou desséché, seul, composé de micro-particules représentant chacune une année d’existence de la Terre. La pierre m’a semblé alors comme la boulette froissée d’un sac en kraft. Cette oeuvre représentait-elle notre origine ou notre fin ? Les deux, comme un symbole d’éternel recommencement et d’infini ?

J’ai retrouvé d’autres pierres de ce type dans l’exposition, couplées à du coton, comme cette oeuvre incroyablement pure et belle, qui est ma préférée :

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ou à du métal, ou à du papier, comme ici cette pierre abritée dans la maison du thé en papier :

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ou tout simplement à la peinture et à la lumière, comme là cette pierre immémoriale qui évoque le temps qui passe, dans cette mise en scène de cadran solaire  :

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ou enfin celle-ci, qui distend le mètre de mesure, et qui présente une magnifique teinte rose :

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Quelques anecdotes de la venue de Lee Ufan à Metz

J’ai visité cette exposition pour la première fois un vendredi après-midi et j’ai eu la chance d’y être en même temps qu’une classe de primaire : ainsi j’ai pu profiter des explications de la médiatrice. Celle-ci a fait s’allonger les enfants devant la toile, puis simuler deux gestes : boire le thé, et faire glisser verticalement un gros pinceau. Ce sont exactement les gestes qu’a faits Lee Ufan lors de sa venue au Centre pour préparer son exposition : il s’est allongé sur le sol de la galerie et a fermé les yeux… si longtemps qu’il s’est endormi. A son réveil, il a bu un thé. Puis il a commencé à réaliser ce motif, à l’aide d’un pinceau très large :

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Ce motif de Lee Ufan est un motif récurrent et emblématique de son oeuvre. Il est exposé sur plusieurs toiles, orienté de diverses manières. Mais celui-ci a été peint spécialement par Lee Ufan au Centre Pompidou-Metz sur une paroi temporaire. Il a vocation à disparaître avec la scénographie à la fin de l’exposition. Cependant, j’ai du mal à croire que le Centre laisse disparaître une telle oeuvre. Si c’est le cas, je me porte acquéreur à l’automne prochain !

Lors de ma seconde visite de l’exposition, j’ai eu la chance d’être guidée par Marion, qui travaille au Centre et a assisté à son installation par Lee Ufan lui-même. Elle m’a raconté plusieurs anecdotes intéressantes et amusantes à son sujet. Il possède plusieurs carrières de pierre, où il sélectionne avec le plus grand soin celles qui … ne ressemblent à aucun objet ! Avant de commencer à peindre, il parle à la toile, et la contemple très longtemps entre chaque repasse de peinture. Dans la dernière salle de l’exposition, une vidéo le montre debout, scruter longuement une toile vierge posée à même le sol, se pencher sur elle pour l’examiner au plus près. Ses gestes comme ses interventions sur la toile ou sur ses sculptures sont rares et solennelles.

Un moment de douceur stimulante

La deuxième fois que je suis venue voir l’exposition Lee Ufan, j’ai pu profiter d’un moment inédit et privilégié : participer à un cours de yoga organisé par la Maison du Yoga dans la dernière salle de l’exposition, un dimanche matin ! C’était une belle idée de la part du Centre d’organiser ce moment qui détend et stimule le corps à la fois, comme l’oeuvre de Lee Ufan peut à la fois détendre et stimuler l’esprit !

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Lee Ufan raccompagne ses visiteurs à la sortie du Centre Pompidou-Metz grâce à cette oeuvre située dans le forum. Il l’a créé spécialement pour le Centre. Sa forme pure et élancée est une évocation de la forme du Centre lui-même, dessinée par  le japonais Shigeru Ban. Elle est faite de coton et de fer, les matières fétiches de Lee Ufan. On y retrouve ses pierres si caractéristiques. Est-ce un tourbillon, un nuage, une fusée ? En tout cas, cela évoque un objet céleste… Lee Ufan n’a pas fini de me faire méditer…

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Lee Ufan. Habiter le temps.

Jusqu’au 30 septembre 2019

Centre Pompidou-Metz. Galerie 1

Lire la présentation de  l’artiste et de l’exposition sur le site du Centre Pompidou-Metz

Une recommandation : visitez cette exposition après les autres : L’Aventure de la couleur, Rebecca Horn et l’Opéra monde, sinon vous risquez de perdre la quiétude trouvée pendant ce moment chez Lee Ufan !

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